« Ce qui est naturel, c’est de jouer, et le phénomène très sophistiqué du XXe siècle, c’est la psychanalyse », (D.W. Winnicott)
La psychanalyse fait partie des sciences humaines et la découverte de l’inconscient par S. Freud à la fin du IXème siècle fait partie des grandes étapes de l’histoire de la pensée. La psychanalyse est à la fois une méthode d’investigation, un corpus théorique et une praxis
Elle nous offre une vision globale du développement respectueuse du sujet et de son inconscient et du point de vue du soin psychique, elle permet de s’entendre dans l’écoute de l’autre, de mieux savoir qui on est, de reconstruire son histoire et de se réconcilier avec ses souvenirs.
S. Freud1 disait qu’en nous apprenant qu’une partie de notre vie psychique échappait à notre volonté, la psychanalyse représentait la troisième blessure narcissique de l’humanité après la blessure copernicienne (la terre n’est pas au centre de l’univers) et la blessure darwinienne (l’homme est un animal parmi les autres), et c’est ce qui explique peut-être une partie des résistances qu’elle a toujours suscitées.
La mort déclarée de la psychanalyse
La psychanalyse est aujourd’hui souvent considérée comme définitivement morte et enterrée et donc, paraît-il, sans plus avenir aucun.
Facile à dire … mais les faits sont têtus et ils résistent !
Il faut savoir, par exemple, que la demande si ce n’est de cures-type mais de psychothérapies psychanalytiques, continue à être importante dans un pays comme le nôtre mais ailleurs également, tant pour les adultes que pour les enfants au point que des instituts de formation à la psychothérapie psychanalytique s’avèrent nécessaires car les sociétés de psychanalyse ne forment pas assez de psychanalystes pour répondre à cette demande.
Les attaques contre la psychanalyse dans le champ de l’autisme se sont intensément développées, on le sait, au fil des dernières décennies et le grand public est aujourd’hui persuadé que la psychanalyse considère les mères comme coupables de l’autisme de leurs enfants !
Ceci est absurde et l’on peut espérer qu’aucun psychanalyste n’adhère plus aujourd’hui à cette vision des choses totalement infondée et dépassée. À supposer que B. Bettelheim ait véritablement défendu cette théorisation, c’est en tout cas ainsi qu’il a été perçu par les familles et les relations entre les familles d’enfants autistes et les psychanalystes s’en sont trouvées gravement et durablement affectées.
En rester là, est le prototype même d’une image arrêtée car, actuellement, la psychanalyse des enfants autistes s’intéresse bien moins aux causes des organisations autistiques qu’aux angoisses archaïques qui en découlent et qui donnent lieu à des mécanismes de défense (ou mécanismes adaptatifs) dont le desserrage est nécessaire à la reprise du développement cognitif.
Les attaques contre le soin psychique et contre les sciences humaines En réalité, les attaques contre la psychanalyse dans le champ de l’autisme ne font que masquer des attaques contre la psychanalyse en général, lesquelles – et ceci est encore plus grave – représentent des attaques contre le soin psychique et contre les sciences humaines dans leur ensemble.
La situation est donc non seulement difficile mais dangereuse car d’une part la prise en charge des troubles mentaux ne saurait se réduire à la mise en œuvre de techniques rééducatives ou comportementales, et d’autre part parce que les sciences humaines font partie de notre héritage conceptuel et que personne ne saurait s’attaquer - sans danger totalitaire - à ce qu’elles portent et représentent en termes de richesse épistémologique et de liberté de penser.
Il y a malheureusement à craindre que ces sciences humaines aient une partie de plus en plus difficile à jouer dans le cadre de la nouvelle gouvernance de nos universités car des disciplines comme l’anthropologie, la linguistique, la poétique ou même la sociologie, s’accommodent finalement assez mal des contrats d’objectif à court terme que l’on cherche à imposer de manière absurde et généralisée …
La modernité épistémologique persistante de la psychanalyse2 La question de l'impact des nouvelles données scientifiques sur la perspective psychanalytique est fascinante et importante car la psychanalyse est née principalement sous le sceau de l'hydraulique et de la thermodynamique de l'époque (disciplines ayant marqué par exemple la conception des résistances et le point de vue dynamique de la pulsion) et qu'il est donc légitime de se demander si l'évolution des connaissances et des idées scientifiques a, ou non, une influence sur le corpus métapsychologique actuel.
Il va de soi que cet impact éventuel ne se joue sans doute pas au niveau de la méthodologie de la cure-type elle-même, mais bien plutôt au niveau de la perspective psychanalytique, c'est-à-dire au niveau des concepts psychanalytiques qui peuvent peut-être être compris et appréhendés aujourd'hui dans une dimension renouvelée.
Il importe donc de rappeler que le cadre épistémologique de la psychanalyse demeure, envers et contre tout, résolument moderne, ce qui montre à quel point, historiquement parlant, la psychanalyse inventée par S. Freud se trouvait alors en avance sur son temps.
Plusieurs points peuvent ainsi être soulignés qui ne visent aucunement à démontrer que tout était déjà dans S. Freud, affirmation qui ne pourrait donner lieu qu'à un immobilisme stérile, mais qu'il existe cependant une certaine continuité entre les fondements de la réflexion métapsychologique et les acquis de la science contemporaine.
- Disons d'emblée que le concept freudien de « série complémentaire » (S. Freud3) joue sans conteste comme ancêtre épistémologique du concept de modèle polyfactoriel dont l'importance est centrale en psychopathologie, mais dont la prise en compte est désormais croissante également dans le champ de la médecine somatique où l'on sait, par exemple, la nécessité d'une constitution HLA4
particulière pour que s'exprime une sensibilité à tel ou tel agent infectieux externe). Cette conjonction entre facteurs endogènes (points de fixation dans le modèle freudien) et facteurs exogènes (frustration, par exemple, dans ce même modèle) ne fait que pointer la logique qu'il y a à considérer que la maturation et la croissance psychiques de l'individu, mais aussi ses troubles, se jouent à l'exact entrecroisement du dedans et du dehors, soit à l'interface de la part personnelle du sujet (et notamment biologique ou génétique) et des effets de rencontre avec l'environnement (environnement relationnel en particulier).
- La praxis psychanalytique qui est à la fois une pratique et une théorie, se fonde - on l'oublie trop souvent - sur le concept de « vérité locale » ce qui signifie que les interprétations et les reconstructions narratives qui émergent dans la cure ne tirent leur efficacité et ne tiennent leur cohérence qu'à se situer dans le champ de la dynamique transféro-contre-transférentielle en jeu dans le processus thérapeutique. Elles ne peuvent être exportées hors de ce contexte spécifique et c'est ce qui permet de réfuter l'accusation d'irréfutabilité énoncée parfois à l'encontre de la psychanalyse en référence aux réflexions de K.R. Popper5.
- Cette remarque nous introduit d'ailleurs à la notion de cadre qui est évidemment essentielle.
On pourrait soutenir, d'une certaine manière, que la psychanalyse n'est rien d'autre qu'une métapsychologie du cadre, et l'on sait l'importance également de ce concept de cadre au sein des sciences dites expérimentales.
D. Houzel6,7, cependant, nous aide à tracer une ligne de démarcation fondamentale quant à la place du cadre dans l'observation psychanalytique et dans la cure-type d'une part, et dans les observations expérimentales d'autre part. Selon lui, en effet, il existe une différence épistémologique de fond entre les observations de type expérimental et les observations de type psychanalytique. Les observations expérimentales posent un cadre de l'expérience (protocole) mais elles se centrent ensuite sur les contenus et ceci, de manière prédictive. Il s'agit en général d'infirmer ou de confirmer une hypothèse : si l'hypothèse est correcte, les modifications apportées au milieu de départ déclencheront des conséquences qui se dérouleront comme prévu par l'hypothèse, si ces conséquences échappent aux prévisions, ou bien une erreur a été commise au niveau de l'expérimentation ou bien l'hypothèse demande à être reconsidérée. L'observation analytique, quant à elle, que ce soit dans le cadre de l'observation directe ou même dans le cadre de la cure, procède très différemment. Elle se centre sur le cadre ou contenant pour en analyser les transgressions ou les défaillances, elle ne recouvre aucune dimension prédictive et les matériaux (contenus) recueillis par l'observation ne font l'objet que d'une élaboration rétrospective, dans l'après-coup.
L'analyste est garant du cadre mais il en fait en même temps partie intégrante. Autrement dit encore, l'analyste contient le cadre qui le contient tout à la fois, et la présence de l'analyste ainsi que son travail psychique ne sont, bien entendu, pas sans effets sur le patient et sur ses productions psychiques (W. et M. Baranger8, A. Ferro9).
Les différences sont donc de taille, mais la notion de cadre s'y trouve évidemment centrale dans les deux cas.
- L'impact de l'observation sur la situation observée apparaît également comme une donnée éminemment freudienne.
De la même manière, dans le domaine des sciences expérimentales, on sait désormais qu'il n'y a pas d'observation qui, de fait, ne modifie, peu ou prou, la situation observée et ceci, quelles que soient les précautions prises pour se persuader du contraire.
L'observation du vivant rajoute à cette considération l'influence de l'observé sur l'observateur ou sur l'outil d'observation, et ce sont même ces modifications qui fonctionnelle de l'objet de l'observation.
C'est cette dynamique qui fonde, dans le champ de la psychanalyse, l'importance du contre-transfert comme mode d'appréhension de la psyché du patient, mais on voit qu'il ne s'agit en fait que d'un cas particulier de l'influence de l'observé sur l'observateur, influence qu'une conception moderne de la démarche scientifique peut aisément repérer dans d'autres types d'observation du vivant.
- L'aspect non tangible du matériel observé par la psychanalyse (émotions, affects, fantasmes, images mentales...) ne peut être retenu comme un argument pour considérer celle-ci comme une démarche foncièrement non scientifique. Dans le domaine de la physique des particules en effet, qui peut se vanter d'avoir observé concrètement des nucléons, des protons ou des quarks par exemple ? D'une certaine manière, sur ce point, les deux approches sont comparables en ce sens que ce ne sont pas les éléments étudiés qui sont directement observés (les matériaux psychiques ou les particules), mais seulement leurs effets indirects provoqués par l'application d'une perturbation au niveau de leur organisation initiale, la perturbation pouvant être le fait d'une interprétation dans le cadre de la cure, ou de l'introduction d'un champ magnétique, par exemple, dans le cadre de la physique nucléaire.
L'effet de l'interprétation se mesure alors par le biais des associations qui en découlent, et l'effet du champ magnétique par les modifications du trajet des particules.
- Partir du pathologique ou du variant pour en inférer le normal ou l'habituel n'est en rien une démarche qui soit propre à la psychanalyse.
On a certes beaucoup reproché à S. Freud d'avoir élaboré son modèle de la normalité en s'appuyant sur des données recueillies chez des sujets névrotiques, et d'avoir ainsi forgé un modèle en quelque sorte névrotique du fonctionnement normal de la psyché.
Qui reprocherait aux généticiens actuels d'avoir élaboré un modèle pathologique du génome normal ?
Et pourtant, eux aussi ne savent et ne peuvent repérer les allèles normaux qu'à partir de leurs formes mutées ou anormales sans lesquelles ils demeurent invisibles et silencieux à l'observation.
Le reproche ne tient donc pas et l'homogénéité des démarches est ici frappante. - La dialectique contenant-contenu enfin, qui a pris beaucoup d'importance en psychanalyse, et notamment grâce aux travaux de W.R. Bion10, reconnaît désormais une grande extension au sein de nombreuses disciplines telles que la linguistique par exemple qui se réfère, de manière centrale, à l'opposition entre contenants syntaxiques et contenus lexicaux.
Certes, on pourrait avancer que c'est W.R. Bion qui, dans les années soixante, a été sensible aux avancées de la réflexion linguistique, mais en réalité, on s'aperçoit que Laplanche et J.-B. Pontalis11) conçus comme de grands moules fantasmatiques de base (contenants) appelés à se figurer chez chaque sujet au travers de
représentations mentales particulières et privées (contenus spécifiques). De la même manière, la distinction opérée par S. Freud12 entre le désir comme « entrepreneur du rêve » et les restes diurnes ou les souvenirs infantiles comme « matériaux du rêve » renvoie-t-elle, me semble-t-il à cette même opposition dynamique entre contenant et contenu, ce qu'un auteur comme M.R. Khan13 a poussé encore plus loin en distinguant la « capacité de rêver » (contenant) et le rêve proprement dit (contenu), la capacité de rêver se fondant elle-même sur le « processus du rêve » (« donnée biologique de la psyché humaine ») et « l'espace du rêve »(conquête du développement de la personne).
Tels sont quelques points de continuité qu'il me parait utiles de relever entre la méthodologie propre à la psychanalyse et celle propres aux sciences expérimentales et ceci, même si la psychanalyse gagnerait sans doute davantage à se comparer aux sciences dites narratives plutôt qu'aux sciences expérimentales dites « pures et dures ».
Quoi qu’il en soit, la psychanalyse n'est en rien impure et molle et elle peut prétendre légitimement à une certaine forme de scientificité dont la modernité persistante est finalement difficile à contester.
La psychanalyse n’est donc plus ce qu’elle était ... mais l’intolérance est toujours le fruit de l’inculture !
Il serait donc essentiel que le grand public soit averti de cette donnée au risque, sinon, de fonctionner en référence à des idées arrêtées, à des idées toutes faites et souvent caricaturales.
Cela étant, les conditions d’un véritable débat entre psychanalyse et neurosciences ne sont pas réunies et elles rencontrent en fait de grandes difficultés. Parmi celles-ci, la dissymétrie des informations détenues par les éventuels débatteurs.
En effet, quels que soient le respect mutuel et la curiosité réciproque susceptibles d’exister entre tel ou tel psychanalyste et tel ou tel neuroscientifique, il est clair qu’il est beaucoup plus aisé pour un psychanalyste d’accéder à des connaissances neurobiologiques et génétiques sur tel ou tel point particulier que pour un neuroscientifique de se faire une idée globale du corpus théorique psychanalytique.
Il y a là une difficulté de fond et on ne voit pas bien les issues possibles qui permettraient de trouver ou retrouver les conditions d’un débat authentique. En revanche, le débat est particulièrement difficile quand les psychanalystes ont à dialoguer avec des neuroscientifiques de moindre niveau (parfois plus scientistes que strictement scientifiques !), avec des psychiatres biologisants et se voulant alors farouchement antipsychanalytiques, voire enfin avec des personnes qui ne connaissent aucunement la pensée psychanalytique mais qui la déclarent hors-jeu de principe.
L’intolérance est toujours le fruit de l’inculture, et nous avons à méditer ce point pour essayer de sortir de l’impasse qui est la nôtre actuellement dans le cadre de nos échanges inter et transdisciplinaires.